Les cheminées fumantes enveloppaient Québec d'une brume artificielle, et firent tousser l’amoureux. Celui-ci
marchait, de plus en plus vite, gagné par l'excitation... Il leva la tête, rêveur, et observa les nuages... celui-ci ressemblait à une rose. Celui-là à un coeur... Sans trop savoir comment, il se
retrouva devant la porte.
Il frappa énergiquement. Des pas se firent entendre, et une adorable voix chanta:
- Qui est là?
- C'est amoureux! Répondit celui-ci.
- Je ne connais aucun amoureux! Dit la voix.
Il y eut un silence.
- C'est toi, amoureuse? Fit amoureux. La porte s'ouvrit soudain:
- Mais oui c'est moi, mon amoureux! Il allait protester, mais elle ne lui en laissa pas le temps:
- Entre, dit-elle.
Amoureux pénétra dans la salle à manger avant de s'asseoir dans un fauteuil. Puis il fixa amoureuse. Celle-ci était debout près de lui. Lui tremblait d'émotion. Elle, ne disait rien. Il se leva,
s'approcha d'elle.
- Amoureuse...
Elle détourna la tête.
- Amoureuse, répéta-t-il.
Alors elle le regarda. Au moment où leurs regards se croisaient, leurs lèvres se touchèrent.
- Euh... bredouilla amoureux.
Mais les mots ne venaient pas... alors amoureuse passa sa main derrière la nuque de son ami, et l'embrassa. Cela dura une éternité. C'était la première fois qu'ils ressentaient une
telle émotion, et ils ne s'arrêtaient plus.
Puis lorsque les premières étoiles scintillèrent dans leurs yeux épuisés, leurs lèvres se quittèrent. Comme deux plongeurs en apnée, ils reprirent leur souffle en même temps que
leurs émotions.
- Je t'aime, dit amoureux - Je t'aime aussi, dit amoureuse
Cette phrase, ils se l'étaient répétée des milliers de fois. Mais jamais elle n'avait perdu de son sens.
- la foudre m'a frappé... et je voulais que tu saches que tu es mon amour.
- Oh.!.. c'est bien vrai?
- Oui, c'est vrai. - Mon coeur... ce que tu me dis, c'est la chose la plus belle que jamais je n'ai entendue. Tu es aussi charmant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Amoureux rougit. Il se sentait bien. Au loin, un vagabond criait.
Tout près, son coeur battait. Là-bas le jour passait... ici, tout était arrêté.
- Embrassons-nous encore... souffla amoureux
Ils s'embrassèrent donc. Bientôt, la musique, l'amour, les entraînèrent dans un tourbillon sans fin. Il n'y avait plus de plafond, plus de mur. Québec était loin. Ils virent
passer un érable, au dessous d'eux. Puis deux. Maintenant, ils étaient sur la mer. Ils frissonnèrent... était-ce le vent qui s'était levé et qui faisait frémir un peu leur peau? Quelques nuages
voilèrent le ciel. A mesure que les notes s'envolaient, la musique devenait de plus en plus belle, et le ciel de plus en plus gris. Des larmes de joie dans la voix, la musique jouait. Quelques
gouttelettes de pluie vinrent alors troubler cet océan. Après quelques instants les gouttes grossirent, s'écrasant lourdement sur la surface de l'eau. Amoureuse, que la folie saisissait, se
voyait aimer au milieu des éclairs... Plus la musique jouait plus le temps s'agitait, plus le ciel s'assombrissait, plus les vagues grandissaient, se brisant bientôt contre leurs pieds dans une
explosion d'écume crépitante, poussées par des bourrasques assassines... leur baiser dansait sur cet air tourmenté, cet océan symphonique, cet opéra dramatique, les vagues étaient à présent
immense et la pluie tranchait le ciel plus sombre que la plus noire des nuits, c'était affreusement grand et terriblement beau, si beau que ça faisait mal, la musique hurlait sa douleur, de plus
en plus fort, les notes tourbillonnaient, le vent devenait tornade, les vagues devenaient rouleaux, les amants tournoyaient, autour de leurs bouches, autour de leurs mains... et tout s'arrêta
soudain. Ils restèrent ainsi toute la nuit à se regarder dans le blanc des yeux. Parfois, ils s'embrassaient. Parfois, ils parlaient.
- Ne me quitte jamais, disait Amoureux
- Je ne te quitterai jamais. Je t'aime, répondait Amoureuse. Et ils s'embrassaient. Puis ils s'embrassaient une nouvelle fois.
Puis ils se promirent de s'aimer éternellement, et l'éternité commença pour eux.